Pungesti, le village roumain qui résiste au gaz de schiste

Publié le par collectif anti-gaz de schiste des Arcs sur Argens

 

Des gendarmes protègent le site de forage de l'américain Chevron visé par les manifestants 

Pungesti (Roumanie) Envoyé spécial

Au bout de la barrière qui entoure la ferme de Constantin Spiridon, à Pungesti, un drapeau blanc et rouge flotte au vent : " Stop Chevron ", proclame la bannière installée par l'ancien maire du village. Depuis octobre, ce bourg, situé à 200 km au nord-est de Bucarest, vit au rythme de la résistance contre le gaz de schiste.

Rien ne prédisposait ce hameau perdu dans les douces collines de Moldavie roumaine à mener une lutte acharnée contre le géant américain qui tente d'y installer une plate-forme de forage. Pourtant, les images de ses habitants — dont beaucoup de personnes âgées — tenant tête à des policiers en tenue anti-émeute ont fait le tour de l'Internet roumain.

Voilà deux ans que le pétrolier lorgne le sous-sol de la région, une des plus pauvres du pays. Mais les choses se sont accélérées depuis le 4 octobre, quand Chevron a reçu les derniers agréments nécessaires à l'exploration du gisement de Pungesti. L'entreprise s'est tout de suite heurtée à la résistance de la population et de nombreux militants écologistes venus des villes alentour, Barlad et Vaslui. Des accrochages ont eu lieu avec les forces de l'ordre arrivées en renfort. Les travaux ont dû être interrompus plusieurs fois, avant de reprendre, inexorablement.

" C'est un test ", affirme Marius Ignat, drapeau roumain autour du cou et caméra au poing, en arpentant la rue principale de Pungesti. D'ordinaire responsable du club de supporters du FC Vaslui, il estime que " si cette installation gazière réussit, ils planteront un deuxième derrick et puis un troisième et peut-être deux cents ". Une vingtaine de militants a monté un camp de fortune juste en face du terrain de Chevron, un ancien pâturage communal. Mais le camp a été vidé et en partie détruit le 2 décembre. Seule une poignée de militants a pu rester sur place, hébergée dans le hameau de Silistea, à quelques centaines de mètres du futur puits.

Les anti-Chevron ne désarment pas pour autant. Constantin Spiridon a une assez grande ferme à 800 m environ du terrain de l'entreprise. " Ici, on vit d'une agriculture de subsistance, explique-t-il. On a quelques vaches, des chèvres. On vit de la terre. Alors s'ils la polluent et que l'eau est contaminée, comment va-t-on survivre ? "

Ce lien à la terre est le premier obstacle à l'exploitation du gaz de schiste dans cette vallée déshéritée. Ici, le peu que les gens ont, ils le doivent à leurs petites parcelles et aux deux ou trois vaches que chacun élève. Tous sont persuadés qu'ils n'ont rien à gagner et tout à perdre dans l'aventure.

A la première approche de Chevron, à l'été 2012, ce sont les membres d'une association de Barlad, une ville à une soixantaine de kilomètres au sud, qui se sont d'abord mobilisés. Ils sont venus voir les habitants qui ne se souciaient guère, alors, des 4 × 4 américains qui prospectaient çà et là. Ils leur ont expliqué les risques posés par la fracturation hydraulique, leur ont indiqué des sites Internet où se renseigner. Et puis, surtout, ils leur ont montré Gasland, le film — depuis controversé — de Josh Fox, qui est une charge contre les ravages du gaz de schiste aux Etats-Unis.

Dans les discussions avec les habitants du village, la scène où un homme enflamme l'eau qui coule du robinet de sa cuisine est sans cesse mise en avant. Peu importe que la véracité du lien entre ces images et l'exploitation du gaz de schiste soit contestée, son évocation est toujours accompagnée d'une question lancinante : " Si on n'a plus d'eau, avec quoi allons-nous abreuver nos bêtes ? "

" On n'est pas riche, mais on atout ce dont on a besoin et on ne meurt pas de faim ", ajoute Maria Dediu, qui habite juste devant l'unique rue goudronnée du village, où passeront peut-être bientôt les camions pour les travaux. " Ils nous ont pris pour des alcooliques analphabètes, peste-t-elle. Mais on a la télévision et Internet ici. On s'est informés sur ce que c'était que le gaz de schiste. "

Son mari a participé aux manifestations des dernières semaines. Aujourd'hui, elle ne le laisse plus sortir, car il a reçu plusieurs amendes pour des motifs qu'elle dit " montés de toutes pièces "" Ils veulent nous intimider, lâchent les militants, et dissuader ceux qui nous aident. "

Le village a été placé, le 7 décembre, en zone de restriction spéciale de sécurité, un statut en principe réservé à la lutte contre le grand banditisme et les trafics. Des centaines de gendarmes patrouillent en permanence et contrôlent soigneusement les passants. Les camionnettes des paysans sont systématiquement fouillées.

Tandis que les téléphones des habitants les plus impliqués dans la lutte ne cessent de recevoir des appels de toute la Roumanie, Chevron répond, imperturbable : " Nous sommes disposés à travailler avec les communautés locales et à leur expliquer les bénéfices du gaz naturel. " L'entreprise américaine fait aussi passer le message que, lors de la phase d'exploration en cours, il n'est pas question de fracturation hydraulique mais de forage conventionnel.

Malgré cela, Ioan Cretu, un jeune homme d'un village voisin lui aussi ciblé par Chevron, essaie de penser à un avenir sans gaz de schiste : " On pense beaucoup à résister pour le moment, soupire-t-il. Cela prend toute notre énergie. J'espère que, plus tard, une fois Chevron parti, on arrivera às'asseoir tous ensemble et à discuter de projets de développement durable pour améliorer la situation des habitants. "

Sur Lemonde. fr

Antonin Sabot

 

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