Huis clos autour de la libéralisation des services

Publié le par collectif anti-gaz de schiste des Arcs sur Argens

Le 19 juin, WikiLeaks a dévoilé un document de travail confidentiel sur le " Trade in Services Agreement " (TiSA), ou Accord sur le commerce des services. Une gigantesque négociation tenue par 50 pays, visant à réduire les barrières réglementaires aux échanges internationaux de services. Et qui se tient hors du cadre de l'OMC.

Pour ses défenseurs, TISA est une formidable opportunité, susceptible de doper la croissance. Mais les révélations de WikiLeaks ont inquiété au-delà du cercle des ONG altermondialistes. Certains redoutent que le projet ne bloque toute nouvelle réglementation protectrice dans les États signataires et menace les services publics. " Beaucoup de fantasmes entourent ces négociations parce qu'elles sont opaques, mais les craintes sont en partie injustifiées ", analyse Patrick Messerlin, spécialiste du commerce international à Sciences Po.

TISA est né sur les cendres du cycle de Doha, à l'OMC. Constatant que les discussions sur les services s'enlisaient, un groupe de pays autoproclamés " Really good friends of services ", les " vrais bons amis des services ", ont lancé, en mars 2013, des négociations parallèles sur le sujet, à Genève. Parmi eux : l'Australie, les États-Unis, le Japon, la Corée (mais pas la Chine), le Chili, le Pérou, la Turquie, le Panama ou les vingt-huit Etats membres de l'Union européenne, le conseil de l'UE ayant donné son aval pour que la Commission négocie en leur nom. Un mandat validé par le Parlement européen.

Objectif : aller plus loin sur la libéralisation des services tels que la banque, l'assurance, l'e-commerce, le transport maritime… " L'idée est de faciliter l'exportation de services et l'implantation d'acteurs étrangers en réduisant les barrières à l'entrée telles que les réglementations, subventions jugées injustifiées ou monopoles ", explique Carlos A. Primo Braga, spécialiste du sujet à l'IMD, l'école de commerce de Lausanne.

Les gains économiques ? " En théorie, ils peuvent être considérables ", explique Julien Gooris, expert des politiques commerciales au Cepii. Les services représentent 75 % de la richesse mondiale brute, mais un cinquième des échanges internationaux.

Avec moins de barrières et plus de concurrence dans les secteurs jusque-là fermés, le prix des services diminuerait à la fois pour les entreprises qui les utilisent et pour les consommateurs, ce qui profiterait au pouvoir d'achat comme à l'emploi. " La France serait une grande gagnante de l'accord ", confie un diplomate. " Nos champions dans les services, comme Veolia, Vinci ou Orange ont une solide expertise à vendre à l'étranger. "

Les économistes approuvent, mais préviennent : il faut des garde-fous. D'abord, parce que l'ouverture poussera les pays à se spécialiser plus encore dans les secteurs où ils excellent. " C'est une bonne chose, mais cela signifie aussi qu'ils perdront des parts de marché là où ils sont moins bons ", précise M. Gooris. " Les pays les plus faibles pourraient y perdre. "

Les ONG s'inquiètent de la liste des services concernés. Bruxelles certifie que côté européen, la législation du trafic aérien, l'audiovisuel ainsi que les services publics comme la défense, la police et la justice sont exclus des négociations de TiSA. " Cette définition des services publics est assez restreinte ", redoute Dominique Plihon, économiste à Paris XIII et porte-parole d'Attac. " Que dire de l'eau, de la santé, l'éducation, La Poste ? "

En principe, chaque pays doit préciser dans " l'offre " qu'il présente pour TiSA les services qu'il accepte d'ouvrir aux entreprises étrangères. À ce jour, seules la Suisse, l'Islande, la Norvège et l'UE ont rendu ce document public. Celui de Bruxelles précise que les services sociaux, de santé et d'éducation financés par l'argent public, ainsi que la gestion de l'eau, sont exclus de TiSA.

Autre crainte : que l'accord aboutisse à un moins-disant réglementaire. Les négociations portent en effet sur deux dispositions qui peuvent, à première vue, le laisser craindre. La " standstill clause ", ou clause de statu quo, interdirait ainsi aux pays d'établir dans le futur un niveau de régulation supérieur à celui en vigueur au moment de la signature de l'accord. Et selon la clause de cliquet (" ratchet clause "), toute nouvelle dérégulation établirait un plancher irréversible. Mais là aussi, la Commission se veut rassurante : hors de question d'en arriver là. TISA vise essentiellement les services privés à fort potentiel de croissance. Et les retours en arrière seront possibles.

Dernier point sensible de TISA : le contenu des discussions reste en partie opaque. Tout comme la liste précise de ceux qui y participent. La Commission assure consulter régulièrement les ONG et think tanks, mais les grandes entreprises semblent les premières invitées à la table. La Global Services Coalition, un lobby représentant la Fédération bancaire européenne, affirme ainsi dans un communiqué daté du 28 avril " se réjouir de travailler étroitement avec les négociateurs de TiSA dans les mois à venir ".

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" Où sont les PME, les consommateurs, la société civile, à qui TISA doit aussi profiter ? " s'interroge M. Gooris, soulignant que l'opacité des discussions empêche les économistes d'évaluer clairement l'impact de l'accord pour les pays.

L'annexe dévoilée par WikiLeaks, portant sur la libéralisation des services financiers, indique ainsi que le document de travail était censé rester secret pendant cinq ans après l'adoption du texte. " Toutes les négociations ont une part de confidentialité, c'est normal ", assure un diplomate.

Côté français, le gouvernement assure pousser la Commission à rendre public un maximum de documents, afin de limiter les inquiétudes. Et rassure sur les garde-fous : une fois conclu, TISA devra encore être validé par les parlements nationaux et européen, qui pourront le rejeter.

Marie Charrel

 

Le Monde du 5 août 2014

 

 

Publié dans TAFTA

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